Traduction Fa Lian Shakya
La psyché humaine, tout comme sa physiologie est auto- régulatrice. Elle bénéficie d'un mécanisme d'équilibre qui retient toutes les parties du corps/soi en balance. Cette balance sera exécutée à l'intérieur ou à l'extérieur de l'individu. Si elle s'exécute dans la personne, elle se passera ou, positivement par une intégration graduelle des éléments de l'ombre de la réalité dans la conscience du soi de l'individu ou, négativement par l'augmentation du pouvoir des éléments pervers de l'inconscient et de ses manifestations de comportement.''
-- Graeme Chapman, discours sur l'homéostasies de la Spiritualité (1998)
Un de mes amis qui est photographe me demandait un jour si je voulais bien l'accompagner au zoo. Il devait y aller pour faire quelques photos et avait besoin de pouvoir confier à un ami le soin de veiller sur son équipement tandis qu'il photographierait les environs. C'était un beau jour d'automne et j'acceptais volontiers ce qui pour moi était un changement de routine.
Nous arrivions quelques instants après l'ouverture du zoo, A peine arrivés, une dame, celle de la revue pour laquelle il devait photographier, s‘approcha toute affairée. Elle avait fait des changements de dernière minute et voulait lui montrer exactement quelles étaient les photos qu'elle désirait. Tandis qu'ils parlaient de travail je me mis à l'écart avançant de quelques pas. Une jeune mère avec trois enfants, un dans une poussette et deux petits garçons un peu plus grands, attirèrent mon attention. Les garçons étaient typiquement des garçons.. l'un ennuyant l'autre tout en se chamaillant et en courant sauvagement oublieux de leur entourage. J'admirais la manière patiente de la mère qui essayait de les calmer.
La dame de la revue hebdomadaire et mon ami se dirigèrent vers les animaux. Je les suivais tandis qu'ils continuaient à parler. Nous nous arrêtions près d'une fontaine qui coulait dans un grand bassin d'eau pendant que la dame décidait quels animaux il fallait photographier. Mon ami déposa la trousse de son appareil sur le rebord de la pièce d'eau pour y mettre un film lorsque tout d'un coup les deux petits garçons s'amenèrent dans une course folle pour tomber en plein sur le couple. La dame faillit perdre son équilibre et tomber dans la pièce d'eau. Mon ami ne fut pas aussi chançard. Son appareil photographique lui glissa des mains pour tomber dans l'eau. La mère des garçons qui elle aussi courrait pour les rejoindre, s'excusait énormément mais la dame de la revue très énervée se mit à lui crier; de ne pas avoir élever ses ‘' mioches'' convenablement, d'infliger des ‘' sauvages ‘' aux gens civilisés, qu'elle aurait mieux fait de prendre la pilule etc.
Mon ami, le seul qui avait eut des dégâts de cette rencontre brutale, essayait pourtant de tranquilliser la dame qui ne voulait absolument pas se calmer. Il la prit par le bras et tenta gentiment de l'éloigner de la scène mais elle se retournait envoyant encore une insulte envers la jeune mère.
Je soupirai tout en regardant avec sympathie la jeune femme aux yeux remplis de larmes. « Ce sont vos fils n'es-ce pas ? » Lui demandais-je. Elle affirma d'un hochement de tête. Je souris souhaitant pouvoir faire plus. « Je suppose qu'elle a du avoir une journée difficile » dis-je en essayant d'excuser l'impolitesse de la dame plus âgée. Mon ami alors m'interpella demandant de bien vouloir lui tenir le sac de sa camera tandis qu'il se mettait à ouvrir la camera mouillée pour contrôler et puis prendre une camera de rechange de son sac. Tout en chargeant la camera d'un film, il redirigea la conversation sur les animaux et en particulier ceux de la Primate House voisine. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit. Ce n'était pas mon affaire d'intervenir dans celles des autres. Cette dame était sa cliente. Photographier était son métier. Il était suffisamment réalisé dans le Zen pour savoir comment entreprendre une situation aussi embarrassante.
L'attention de la dame se porta soudain sur un orang-outan qui était en train de manger un oignon. Elle recommença pourtant à insulter la mère et ses garçons. « Nous allons manquer cette prise de vue à cause de ces monstres ! » S'exclama t'elle. Puis se retournant vers mon ami sans essayer de contenir son irritation elle ajouta exaspérée, « Et puis quand toi tu seras prêt, cet oignon aura disparu ! » Tout en arrangeant méticuleusement son équipement mon ami répondit calmement, « Nous lui donnerons une carotte. » Heureusement l'orang-outan ne semblait pas vouloir dévorer l'oignon.. mais le pelait lentement. Mon ami prit une douzaine de prise de vue. La dame était encore fâchée. Son comportement avait totalement changé depuis la rencontre avec les petits garçons. Nous avancions d'un pas lent parmi les expositions de divers animaux puis prenant un tournant nous rencontrions à nouveau les petits garçons qui jetaient des bâtons sur un paon. « Oh mon Dieu ! » S'époustoufla la dame. « Mais pourquoi ne jette t'on pas dehors cette garce avec ses mioches ! » Le paon pu se dégager facilement en se libérant de l'attaque des bâtons et la mère se mit à gronder ses enfants, comme chaque mère l'aurait fait. Malgré cela, la dame qui nous accompagnait était encore très agitée.
Le jardin zoologique était très grand, il recouvrait une étendue de plusieurs hectares. Lorsque la dame s'absenta un instant pour aller aux toilettes mon ami en profita pour s'excuser. « Je ne savais pas qu'elle serait venue », dit-il « Ni qu'elle aurait été si fortement irritée à cause des enfants. Je me sens coupable de ne pas t'avoir dit de t'en aller. Mais au fond, je suis content que tu sois ici. »
Il secoua la tête, « Elle dépasse les bornes et ne revient pas ! » Elle avait certes dépassé les bornes, cela devenait encore plus évident lorsque nous approchions l'exposition de Pingouins. Les pingouins sont toujours amusant à regarder. Ils nagent non seulement comme des poissons mais ont aussi une habilite incroyable de sautiller et de sauter. Tandis que l'employé leur jetait des poissons, les pingouins battaient l'eau avec frénésie en vue des aliments.
Il y en avait qui sautillaient sur un rocher pour attendre la sardine du gardien tandis que d'autres nageaient en zigzags en dessous de la surface de l'eau espérant être au bon endroit au bon moment pour pouvoir attraper un poisson. Les plus jeunes étaient hilarants et je leur fut reconnaissant pour ce soulagement comique. Mais soudain les petits garçons à nouveau tout en courant s'amenèrent pour voir le spectacle de l'heure de l'alimentation des pingouins et je me préparais pour ce qui devait suivre. La dame se mit à crier à la mère, « Mettez donc une laisse à ces animaux sauvages si vous ne pouvez pas les contrôler ! » La jeune mère se mit en larmes et dit en sanglotant, « Je fais de mon mieux. »
C'en était assez. Mon ami s'arrêta de photographier les pingouins et dit, « Je pense que j'ai assez pour aujourd'hui, je pourrai revenir demain si j'ai besoin d'autres photos. » Il me prit des mains le sac de sa camera pour y mettre son appareil. Pendant qu'il terminait de parler avec sa cliente, je vis un vendeur de crème glacée qui s'avançait vers nous. Je fit signe à la jeune mère en disant, « C'est OK pour les enfants de manger une crème glacée ? » Elle hocha de la tête; je payais pour deux boules de crème et les offrais aux enfants.
" C'est ça !" S'exclama la dame ironiquement. " Les récompenser en plus d'avoir été si désagréables !"
Sur ce, après une journee gâchée par la colère, nous nous en allions.
Nous savons tous ce que c'est le sentiment d'avoir la spirale de nos émotions hors de contrôle. Nous nous fâchons au sujet de quelque chose ou contre quelqu'un ou même contre nous-mêmes, puis cela revivifie d'autres vieux ennuis et plaintes ce qui irritent encore plus notre colère. Une chose après l'autre qui s'empile jusqu'à ce que la pression ne devienne trop grande et alors il y a implosion. Et de là, nous perdons notre capacité de calme, le rationnel de la pensée et de l'action: nous perdons notre équanimité et dérangeons ainsi notre équilibre. Ce n'est pas une situation agréable ni pour nous, ni pour ceux qui sont autour de nous.
Mais comment regagner le contrôle et pouvoir retrouver celui que nous étions avant d'avoir perdu notre équilibre ? C'est très difficile et c'est le plus grand défi du Zen.
Les scientifiques ont découvert qu'il y a une explication physiologique inhérente quant au pourquoi nous sommes si résistants au changement. Une série télévisive scientifique, « Les frontières des Américains » présentée par Alan Alda, a récemment présenté un épisode d'observation du fonctionnement du cortex préfrontal du cerveau en relation de l'étude et de la modification du comportement.
L'épisode commence en nous montrant un enfant en bas age, une petite fille d'environ dix mois qui était le sujet de cette expérience. On lui montre un petit jouet qui est ensuite inséré dans un des deux trous qui se trouvent dans une table placée devant elle, de sorte qu'elle puisse voir clairement dans quel trou le petit jouet a été placé. Ensuite, un tissu est placé sur chacun des deux trous et elle est invitée à trouver le jouet. Sans hésitation, elle soulève le tissu correct et enlève le jouet qui se trouve à l'intérieur du trou. L'expérience est répétée, mais cette fois le jouet est placé dans l'autre trou. Les deux trous à nouveau sont recouverts de tissus et la petite fille est invitée à retrouver le jouet. Cette fois encore et sans hésitation elle regarde non pas ou elle a vu mettre le jouet mais bien dans le trou ou le jouet avait été placé auparavant.
Une expérience encore plus complexe eut lieu ensuite avec un enfant de trois ans. Encore une fois il fut constaté que l'enfant avait agit sur l'information apprise précédemment et ignorait la nouvelle information. L'enfant avait observé le changement et aurait du faire un nouveau choix, un choix correct. Au lieu de cela, l'enfant est revenu sur ce qu'il avait considéré comme endroit connu normalement. La même expérience, mais dans une conception plus complexe pour adultes eut lieu ensuite avec Alan Alda, le présentateur de l'émission. Il se riait de lui-même tout en prêtant pour le test. Le résultat fut, que son temps de réponse avait considérablement ralenti lorsqu'il fut confronté avec le nouveau et le changement, information sur laquelle sa décision s'était basée. Il avait du mettre beaucoup plus d'effort pour pouvoir prendre une décision correcte.
Malgré que le cortex préfrontal (lobe frontal) du cerveau soit entièrement développé chez l'adulte, il reste tout de même une lutte de la volonté qui doit initier un changement dans l'action habituelle. Notre tendance est de suivre la même réponse, celle que nous avons eue indépendamment des changements de la situation et qui a suggéré la réponse en premier lieu. Cette résistance au changement semble être programmée en nous.
Le Zen demande une quantité énorme de volonté - peut-être même plus que pour n'importe quelle activité ou effort - parce qu'il insiste à nous altérer nous-même; nos habitudes, notre façon de penser et notre réaction vis à vis des choses et toutes nos solutions conditionnées des problèmes de la vie. Cette altération volontaire de l'esprit est contre notre nature. En fait, un des aspects les plus important de notre nature est ce principe naturel ou force qui a tendance à nous faire résister au changement.
Le physiologiste américain Walter Cannon a inventé le terme « homéostasies » en 1932 en tant que dérivation de homoio qui signifie similaire et stasis qui signifie état. Dans une définition plus simple, l'homéostasie est une condition naturelle de dynamique auto- régulatrice. Lorsque quelque chose perd sa balance, une force régulatrice essaie de restaurer la balance originale. Malheureusement, lorsque de fortes émotions positives ou négatives dérangent notre équilibre, notre réponse détermine si nous avançons vers le retour de l'équilibre ou si nous nous en éloignons. Plus nous nous en éloignons, plus profond sera l'ennui que nous aurons.
Nous regagnons éventuellement notre équilibre mais, comment cela se produit varie : si nous nous laissons aller dans une spirale sans contrôle, nous nous retrouverons en crise et endommagés. Nous deviendrons déprimés, impatients ou éprouverons une expérience totale de dépression. Mais si par une force absolue de volonté nous nous donnons l'ordre de "laisser aller" le trouble psychique, nous pourrons alors rapidement revenir à l'état d'équilibre - et c'est là le but que nous voulons atteindre lorsque nous pratiquons le Zen.
Un concept équivalent à été postulé par Isaac Newton en 1687 et a été publié comme Principe Mathématique de Philosophie Naturelle. Nous connaissons aujourd'hui ses lois célèbres de motions. La première loi de Newton déclare que tout reste essentiellement en équilibre jusqu'à ce qu'une force n'agisse sur celui-ci. En d'autres mots, l'équilibre est l'état normal des choses.
Sa deuxième loi déclare, qu'un changement d'équilibre d'une chose est proportionnel quant à la force qui l'a mise hors de son équilibre. Et sa troisième loi déclare, que n'importe quelle chose qui perd son équilibre applique une contre- force qui balance la force qui l'a mise hors de l'équilibre. L'homéostasie dans ce contexte, est la tendance naturelle d'une chose que de vouloir être en l'équilibre. C'est la base des trois lois de motion de Newton. Mais c'est également un principe qui peut s'appliquer à la motion/équilibre de notre psyché. Dans le sens le plus large, lorsque nous sommes en équilibre, nous sommes en paix et lorsque nous ne le sommes pas, nous " sommes stressés." Le stress pour la psyché est comme une force appliquée sur un objet. Si quelqu'un nous crie, nous répondons en criant aussi. Si quelqu'un que nous aimons meurt, nous sommes émotionnellement dévastés. Notre psyché est dans un état constant de réponse. A chaque moment nous sommes soumis à une variété de forces qui nous dérangent et provoquent en nous des réactions.
Malgré qu'il semble que ce soit la dernière chose que nous voudrions faire ou devrions faire, le Zen exige en premier lieu de résister à ce déséquilibre ou si nous nous trouvons hors de notre endroit de repos normal, d'employer immédiatement la contre-force afin de reconstituer cet équilibre.
Nous n'attendons pas que le temps passe ni que la fatigue ou que la frustration nous viennent en aide pour ramper à nouveau dans notre zone d'équilibre. Nous nous forçons à obtenir le contrôle immédiat de nous-mêmes. Ceci semble facile. Ce ne l'est pas. Cela semble aller contre une réaction, une réaction de bon sens.
Si un feu sauvage fait rage sur nous, nous commençons un retour de flamme contrôlable pour capturer l'enfer du carburant. Nous voulons qu'il se brûle lui-même ; mais en surface, notre action semble contredire notre motivation.
Au début, lorsque nous abordons le Zen nous sommes enthousiastes. Nous sommes certains de pouvoir nous adapter sur le coussin. Mais après quelques jours nous revenons à l'état ou nous étions avant d'avoir décidé d'entreprendre le Zen. Nous ne pouvons pas changer nos habitudes. Toutes nos bonnes intentions disparaissent inexplicablement. Si nous nous asseyons, nous glissons facilement dans l'oubli, perdant le compte, pour cause de rêvasserie, si nous travaillons avec la Respiration Thérapeutique ou alors, nous amenons tellement d'angoisse sur le coussin que nous ne pouvons pas retenir notre souffle pour plus de quelques secondes. Nous disons vouloir la tranquillité du Zen mais nous nous retrouvons contracté nerveusement sur le coussin. Nous étions même plus calmes avant de nous y asseoir. Nous découvrons rapidement que la nouvelle routine n'est pas un sillon que nous pouvons adopter facilement; et faire un nouveau sillon exige plus de travail que nous avions prévu et ainsi notre enthousiasme disparaît. `
La tranquillité est notre état normal d'origine, mais tandis que notre moi se développe tout en luttant avec les problèmes de la vie et bien déterminé de réussir, nous nous retrouvons repoussé de ce point central, car nous nous mettons à la recherche du gain matériel ou social. Il n'y a aucune tranquillité à trouver si loin du centre. Eventuellement nous nous lassons de toute l'agitation, que le travail pénible nous a donné comme expérience et nous désirons regagner ce centre, mais jusqu'à en arriver là, nous sommes devenus habitué à l'adversité et ne réussissons pas à changer. Nous équilibrons nos vies autour de l'agitation.
Seulement une force de puissance, égale à celle que nous avons dépensée pour nous attacher aux objets du monde, peut nous pousser à nouveau vers notre centre d'origine. Habituellement cela arrive après un évènement catastrophique; mais parfois, ce sont des années de comportement auto-destructif qui s'ajoutent au total nécessaire. Aucune force moindre de ceci n'est adéquate; et ainsi nous nous asseyons et nous nous tortillons ou laissons s'éteindre notre détermination.
Lorsque nous nous permettons de nous éloigner ainsi du centre, nous avons l'expérience de la douleur et de l'amertume que le Bouddha décrit dans la Première Noble Vérité. La cause de cette détresse, dit-il, est l'attachement. Un pratiquant du Zen peut ressentir la colère, la peine, tristesse ou la douleur physique tout comme avoir l'expérience de la joie et du rire. Mais dès que sa réponse immédiate à la situation passe, il ne s'en charge plus. Il la laisse. Il sait quelles sont les conséquences de rester attaché à celles-ci. Lorsque l'impulse de cette réponse disparaît, il revient à un état d'équilibre.
Au Zoo ce jour-là, j'avais pu voir très clairement la différence entre retenir la colère et la laisser aller tout simplement. La colère persistante d'une femme avait ruiné ce qui aurait pu être une journee agréable pour son entourage.
La motivation est ce qui nous met en action. Nous pouvons nous entraîner ainsi à nous détacher et suivre simplement le cours de nos affaires quotidiennes. Nous pouvons achever l'équanimité ou, comme le dit Maître Hsu Yun, « avoir le sang-froid d'un homme mort. »
La besogne commence par devenir attentif et voir de combien notre vie s'est éloignée du centre et à combien du bord nous nous trouvons.