Je l'avais rencontré quelques semaines plutôt et comme il avait exprimé avec ardeur apprendre le Zen, nous avions décidé d'escalader une de nos montagnes préférées. Nous nous étions mis en route aux premières lueurs du jour et il ne manquait que quelques heures pour que le soleil atteigne le zénith. Il nous avait fallu partir très tôt pour pouvoir et arriver au sommet et revenir avant le crépuscule.
Durant la plus grande partie de notre escalade ce matin là, nous n'avions entendu que les oiseaux, le vent, nos propres souffles et nos pas réguliers ; nous n'avions pas eu de conversation jusqu'au moment où mon ami trébuchait sur une grosse pierre et se tordait douloureusement la cheville.
Il se mit à maudire la pierre comme si elle s'était délibérément placée sur son chemin. Après avoir masser sa cheville pendant quelque minute, il souleva tout d'un coup cette pierre et tout en maudissant et hurlant, la lança vers le bas de la montagne. J'espérais vivement que personne ne se serait trouvé sur sa trajectoire.
Sa voix fâchée s'évanouissait dans un écho éloigné, ensuite nous nous asseyions. Nous savions tous les deux qu'aussi longtemps qu'il n'y avait aucune suintement dans les ligaments, la douleur diminuerait en un mal bénin. Nous buvions de l'eau et nous reposions quelques instants.
Mon ami peu après se levant déclarait optimiste, " ça va très bien - allons-y ! " Ce qui nous remit en route. " Je souhaiterais ne pas me fâcher tout le temps comme ça. " Murmura- t'il tant à moi, qu'à lui-même. " Si cette pierre avait été une personne, je l'aurais probablement tuée. "
" L'ombre ennemie " dis-je en riant, " ne connaît aucune pitié. " Il se retourna vers moi le regard railleur demandant la suite de cette pensée.
" C'est la force du comportement codifiée dans notre DNA" j'expliquais. " Elle existe uniquement pour augmenter la chance de notre survie lorsque nous rencontrons des menaces. Un homme nous attaque ; nous nous fâchons ; notre adrénaline augmente ; nos muscles se tendent ; et les battements de cœur augmentent pompant de l'oxygène vers les muscles en concentrations plus élevées. Tout ceci nous prépare au combat, un combat que nous espérons gagner. Je doute fort que nous serions ici aujourd'hui si nos ancêtres n'avaient pas eut cet archétype important. "
" J'ai lu certaines choses sur les archétypes " dit-il " Mais quelle est l'utilité de se fâcher contre une pierre? Elle ne peut faire rien pour favoriser la continuation de notre espèce? " " Non. " J'étais d'accord avec lui. " Mais les archétypes agissent tout seuls. Ils n'évaluent pas une situation ni ne décident d'agir ou pas. Ils sont autonomes aussi longtemps que nous sommes sans inconscient d'eux. Ils agissent sur impulsion. Quand nous ressentons soudain la douleur ou la peur peut-être, l'ombre ennemie s'élance afin de mordre la tête de celui avec qui nous associons notre douleur ou notre peur. Peu importe si c'est un homme, un ami ou une pierre. Les archétypes servent un objectif, mais ils peuvent se mettre en colère si nous ne sommes pas attentifs ; et quand ils le sont, nous nous trouvons rapidement à agir de par un ou plusieurs des sept péchés mortels: Fierté, envie, colère, paresse, avarice, gourmandise et convoitise. La seule manière d'éviter de pécher est de devenir conscient tout d'abord des forces qui nous mènent aux péchés. Ces forces sont le plus souvent les archétypes de l'ombre ennemie et de l'ego ( moi) ou de la Persona. Nous les avons tous. " Concluais-je.
" Je ne te vois jamais fâché pourquoi ? " Demanda t'il. Je souris, " Parce que tu ne m'as pas rencontré au bon moment! " Puis j'expliquais, " Intégrer les archétypes est la tâche la plus importante du Zen. Et jusqu'à ce que nous devenions conscients des forces qui sont câblées dans notre code génétique, nous ne serons rien de plus que des robots agissant de par un certain ensemble d'instructions préprogrammées.. Instructions qui ont été assemblées par les expériences antérieures. Une fois que nous devenons conscients, disons, de l'ombre ennemie, celle-ci n'a plus l'habilité d'agir sans notre consentement conscient. Nous pouvons nous fâcher mais cette colère sera habituellement spontanée, brève et justifiée par les circonstances. Ce ne sera plus le résultat du désir de faire une attaque personnelle à quelqu'un. Pour la croissance spirituelle ou l'évolution du Soi, il est nécessaire que la conscience s'étende. La direction de l'expansion est toujours vers l'intérieur, vers l'inconscient. " " Cela semble un peu idiot. " Répondit mon ami. Le ton de sa voix dénotait qu'il était pensif plutôt que condescendant. " La conscience s'étend vers l'inconscient. Ne serait-ce pas dire que ce qui était auparavant inconnu, devient connu.. Conscient ? " " Oui " Je convenais. Il continua " Mais comment puis-je devenir conscient de ce qui est inconscient ? Cela ressemble à un oxymoron. Quand c'est inconscient c'est inconnu, et alors, comment savoir qu'il existe ? Mais quand on le connaît, il n'est pas inconscient et de ce fait, existe. L'inconscient alors ne peut pas exister n'es-ce pas? "
" Nous ne pouvons pas savoir ce que nous ne savons pas. " Je convenais, " Mais cela ne signifie pas que, ce que nous ne connaissons pas n'existe pas. Penser que nous savons tout ce qui est à savoir serait exagérer. Nous pensons que nous voyons les choses clairement et que sommes pleinement conscients, parce que c'est la seule perspective que nous avons. Mais la conscience, dans ce contexte, est toujours relative à notre attention, à notre capacité de percevoir. Ce n'est pas un absolu. Les enfants se développent en conscience, de manières que nous pouvons voir et observer clairement tous les jours, mais lorsque nous devenons adultes, ce procédé est souvent arrêté. Nous pensons 'être arrivés ' à une certaine destination qui a été fixée dans notre imagination. Nos espérances créées individuellement terminent notre croissance continue en tant qu'êtres humains. Nous agissons comme les dieux connaissant tout, notre ego n'étant seulement responsable qu'à lui-même. "
Nous continuions notre excursion pour nous arrêter après un bon bout de chemin pour un bref repos et pour reboire de l'eau. C'est alors qu'il me demanda si les archétypes étaient vrais. Il me prenait de surprise, parce que je ne voyais pas comment ils pouvaient ne pas être vrais. Je considérais ma réponse soigneusement, parce que vu que nous étions dans le contexte d'une discussion sur une pensée contemplative, cela aurait été trop facile de confondre les mots et leur signification - un problème classique du Zen illustré par un moine qui dirige son doigt vers la lune brillante. Je décidais de revenir sur un sujet que je connaissais.
" En physique " lui dis-je, " nous parlons de forces. Sans forces, il n'y aurait aucune physique parce que rien ne se produirait. En fait, il n'y aurait rien du tout parce que, ce sont les forces qui créent les choses. Le rocher est retenu ensemble par les forces nucléaires fortes et faibles. Il s'étend sur toute la montagne en raison de la force de la pesanteur. Les forces sont, ce qui fait que les choses se produisent. " Je désignais le rocher qui se trouvait à nos pieds.
" Si nous prenons ce rocher comme réel, nous reconnaîtrons aussi que les forces qui le font devenir rocher sont, elles aussi réelles. Ainsi, si nous devenons, par exemple, fâchés et considérons cette colère comme étant vraie, nous devrons également considérer que la force derrière cette colère l'est, elle aussi. Nous pouvons appeler ces forces de n'importe quelle manière ... le nom n'est pas important, mais leur existence l'est. Les archétypes sont, jusqu'au moindre détail, aussi vrai que cette roche. "
Il répondit qu'il n'avait jamais pensé de cette manière là auparavant. Ensuite il demanda, " Il y en a combien des archétypes ? Tu n'en as mentionné qu'un ou deux seulement. "
J'en revenais à la physique. " Nous connaissons la pesanteur et les forces électromagnétiques. Ce sont les plus communes que nous enseigne l'école et le lycée. Nous connaissons également les forces nucléaires fortes et faibles. Au fur et à mesure, que les scientifiques ont augmenté leur attention, sur les constituants de plus en plus petits de la matière, ils sont arrivés à un certain nombre d'autres forces. La même manière semble fonctionner dans le domaine spirituel aussi. Nous apprenons d'abord l'ombre ennemie, la Persona, le moi et l'ombre amie ; puis à mesure que notre attention augmente, nous en apprenons d'autres que nous appelons 'les archétypes divins ': le vieil homme sage ou la vieille femme sage, l'Anima ou l'animosité, l'enfant de Mercure ainsi que d'autres. Chacun de ceux-ci est un aspect de nous-mêmes, et tout en cultivant le cœur du Chan, nous essayons de les intégrer. A chaque succès nous devenons plus complets en notre nature humaine. Nous progressons, d'un état fracturé à un état de complétude ... d'unité. "
Je lui dis qu'une grande partie de notre site était consacré à l'intégration archétypale et lui proposais d'explorer le site s'il cela l'intéressait. Il répondit qu'il le ferait. Nous reprenions la montée dans un silence rythmique pour le reste de la journée et rentrions bien avant le crépuscule.
Traduction: Fa Lian Shakya,OHY